"La révolution de la donnée va bouleverser notre vision du système de santé !" prévient Henri Verdier

Chercheurs, médecins, économistes, représentants d’usagers de santé ou encore industriels… Un nombre croissant d’acteurs appelle à partager les données de santé. L’Usine Nouvelle a recueilli le point de vue d’Henri Verdier, président d’Etalab, l’organisme chargé par le gouvernement de l’open data, l’ouverture des données publiques.

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L’Usine Nouvelle - La pétition "Libérez les données de santé" prône d’ouvrir les données de l’assurance maladie. Qu’en pensez-vous ?

Henri Verdier - Sans doute, l’heure est-elle effectivement venue de poser les questions. Notre système de santé peut-il devenir encore plus efficient ? Son coût peut-il être mieux ajusté ? Son financement peut-il être plus efficace en utilisant un peu mieux les différents systèmes d’information disponibles ? 

Il est assez normal que ces questions prennent de l’importance. On touche ici au quotidien, à la santé, voire à la vie de chacun d’entre nous. On sent bien que le pays investit beaucoup sur la santé, et que le système peut encore être amélioré. Nous constatons que de grands systèmes d’information fonctionnent, mais qu’ils sont réservés à des usages précis. Et nous avons une grande tradition de recherche en santé publique qui sait mettre les données au service de l’intérêt général et au service des particuliers. En 2013, l’ouverture et le partage de données de santé se sont d’ailleurs poursuivis sur une plateforme, avec, par exemple, les dépenses de santé remboursées par l’assurance maladie par région jusqu’en octobre 2012.

Comment pensez-vous accélérer ce mouvement ?

La société française a ouvert un débat essentiel. On voit tout d’abord qu’il y a des voix différentes qui convergent aujourd’hui?: celle des citoyens, qui veulent plus d’autonomie et donc d’information dans la construction de leurs parcours de soins, celle des financiers du système de soin, qui veulent pouvoir faire des prévisions plus éclairées, et celle des médecins de santé publique, qui veulent améliorer la précision et la qualité de la prise en charge. On parle de données différentes?: certaines personnelles et anonymisées, certaines statistiques, certaines absolument non personnelles. Ces données sont dans des systèmes différents, portées par des organisations différentes… La meilleure chose à faire pour accélérer ce mouvement est de rationaliser ce débat et d’ouvrir des questions pratiques.

Concrètement, le Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (CIMAP) du 18 décembre 2012, conforté par la feuille de route numérique et la feuille de route pour l’ouverture et le partage des données publiques, toutes deux rendues publiques par le Premier ministre ce 28 février, ont confié au SGMAP et à Etalab le soin d’organiser, avec les ministères concernés, des débats thématiques.

Quels sont les risques inhérents à une telle ouverture ?

Il est essentiel, notamment sur cette question des données de santé, d’entendre posément les différentes parties en présence, de faire place aux demandes des citoyens, de regarder techniquement dans quel système sont les données, comment pourrait s’organiser l’ouverture, les éventuelles craintes qui peuvent être exprimées et les précautions à prendre. Il est surtout essentiel de désigner les données exactes qu’il faudrait partager et les bénéfices escomptés de cette ouverture. L’ouverture des données publiques a un cadre juridique précis : loi Cada, directive PSI, loi sur la statistique publique… Elle exclut, par exemple, la diffusion d’informations personnelles. Il suffit de prendre le temps de bien s’assurer que ce cadre est respecté.

Techniquement, est-il possible à la Cnam de transmettre actuellement ses données de manière intelligible ?

Nous travaillons avec la CNAM, qui partage déjà certaines données et poursuit avec Etalab le travail d’identification des données publiques qu’elle détient. Il est vrai que l’ouverture de données, et plus encore de flux de données, pose toujours des questions techniques. Il est bon de le rappeler, car sous la métaphore de l’ouverture se cache bien souvent un important travail sur les systèmes d’information, la gouvernance ou l’indexation des données, etc. Je dirai simplement que construire ce type de passerelles est quand même bien moins difficile que construire le système d’information lui-même…

D’autres acteurs (académiques, industriels) ont-ils les moyens de "faire parler" ces données ?

Oui bien sûr. La construction de ce bien commun informationnel doit se faire avec l’ensemble des acteurs concernés, dont la CNAM. Etalab se rapproche d’ailleurs d’autres institutions comme l’Institut des données de santé (IDS), dans une dynamique constructive et complémentaire entre tous les acteurs de la santé. Il existe de nombreuses perspectives de réutilisations innovantes des données publiques de santé. Elles revêtent par exemple un fort potentiel d’innovation sociale. Nous sommes conscients de l’importance de cette question. C’est pourquoi d’ailleurs la feuille de route gouvernementale en matière d’ouverture et de partage des données publiques prévoit, en 2013, la création d’un comité d’experts auprès d’Etalab, et la construction de passerelles plus étroites avec l’univers de la recherche, les " data scientist " et autres, pour favoriser la naissance de meilleures utilisations des données publiques ainsi mises à disposition.

Quelles pourraient être les applications de demain ?

À terme, je pense que la révolution de la donnée va bouleverser notre vision de ce qu’est un système de santé. Les citoyens vont conquérir une meilleure autonomie dans leurs parcours, ils vont peut-être s’organiser pour transmettre eux-mêmes des données à la recherche médicale (on le pressent dans le "quantified self"), la santé publique va bénéficier d’informations dont elle a toujours rêvé, la culture de la donnée - avec ses concepts nouveaux comme "evidence based decision" ou "data based strategy" - va pénétrer l’organisation et le financement du système de soins… Nous ne sommes qu’au début d’un immense mouvement, qui nous réserve de nombreux progrès.

Propos recueillis par Gaëlle Fleitour

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